PREFACE DE "LA NOBLESSE BRETONNE AUX XVe ET XVIe SIÈCLES" de R. de Laigue
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"La NOBLESSE BRETONNE aux XVe et XVIe siècles" du Comte R. de Laigue,
Réf NBL, Réimpression de l'édition de 1902, deux volumes 17 x 23; reliés
skyvertex, 75 € Concerne principalement l'ancien évêché de Vannes. Outre une remarquable introduction sur
les anciennes institutions, il donne la liste, par commune, de tous les participants aux réformations des feux et aux montres. Importantetable des noms cités.
PREFACE
A la fin du Moyen-Age deux signes principaux caractérisent l'état du
gentilhomme propriétaire de fief noble : il doit le service militaire et par
suite se trouve exempt de tous impôts et subside. D'où deux points à examiner
pour le généalogiste : les exemptions d'impôts et les charges du service
d'armes ; deux moyens de contrôle à étudier en Bretagne : les réformations
des feux et les montres.
Les réformations des feux
Pas plus que de nos jours, le trésor, au XVe siècle, ne vivait de l'air du
temps. Il fallait aux Ducs beaucoup d'argent pour entretenir et faire marcher
les services publics, et cet argent, ils étaient obligés de se le procurer
d'une façon ou d'une autre ; or la grande source de revenus, celle où ils
puisaient à tout moment, c'était le fouage.
Le fouage tirait son nom du bas latin focatium, de focus, foyer. C'est dire
qu'il était l'impôt foncier par excellence. Réservé aux paroisses rurales
qui formaient l'immense majorité du duché, il ne se prélevait pas dans les
villes où l'aide était là pour le remplacer, et portait ainsi exclusivement
sur les paysans roturiers qui exploitaient leurs propres terres. Mais la
proportion existant entre l'assiette de l'aide et celle du fouage était
injustifiable : tandis que notamment la ville de Rennes avait à fournir 2.000
livres, telle petite paroisse en devait payer à elle seule plus de 800.
La répartition des fouages était des moins compliquées. La Bretagne sous
Jean V comprenait 33.300 feux, chaque feux représentant trois ménages ; d'où
l'on pourrait conclure que les collecteurs à la levée de l'impôt se
présentaient dans chaque ménage pour percevoir le tiers d'un feux. Loin de
là, les malheureux officiers auraient perdu la tête au milieu des cotes
irrécouvrables, presque toutes les paroisses portant sur leurs rôles un
chiffre officiel de feux contributifs qui dépassait de beaucoup le chiffre
réel. Le principe de la recette rendait celle-ci excessivement simple.
" Chaque paroisse rurale, dit Dupuy, suivant son importance représente
un nombre déterminé de feux. Ainsi la paroisse de Guer en compte 108, celle de
Pourpriac 180, celle de Saint-Méen 50. Par suite, la répartition du fouage est
facile. Les Etats de 1481 ont voté un fouage de 7 livres 7 sous par feu. Il est
clair qu'à Saint-Méen" les contributifs ont à tailler et à égailler
entre eux " 367 livres 10 sous. L'égail est fait par les notables d'après
les rôles dressés " par le clerc et greffier pour faire les rôles
desdits fouages" . La collecte est adjugée au rabais à des gens
solvables. S'il ne se présente pas d'adjudication la fabrique désigne
d'elle-même un collecteur d'office dont elle fixe le salaire. Le 21ème denier
du fouage sert à couvrir les frais de perception. Ainsi sur un fouage de 7
livres 7 sous, l'Etat ne reçoit que 7 livres par feu. La somme recueillie dans
chaque paroisse est versée dans la caisse du receveur de l'Evêché. Le fouage
se paie généralement en deux termes. Si les contributifs paient mal, le
receveur lance sur eux les sergents qui en arrêtent quelques uns comme otages.
La loi leur accorde cependant des garanties. Les mandements de fouage doivent
être notifiés aux paroisses six semaines avant l'échéance. Il est défendu
de saisir les bœufs, charrues et instruments de labour des paysans, d'arrêter
ces paysans quand ils vont aux marchés, aux foires et à la messe
dominicale".
Il résulte de ce mode de perception que l'anoblissement ou l'exemption d'un feu
contributif aurait dû être une charge pour les autres roturiers solidaires les
uns des autres. Il n'en était rien, le Duc n'accordant jamais cette faveur sans
diminuer d'autant le nombre des feux de la paroisse. Jean V donnant le 15 mai
1432 des lettres de franchise à Jehan Baden métayer d'Olivier du Quirisec
" demeurant en son manoir de Kerguiryonnez en Crach, évêché de
Vannes" décharge en même temps d'un tiers de feu ou d'un ménage les
contribuables de cette paroisse. La Presselaye et le Brossay en Renac ne furent
anoblis par le même Prince qu'à la condition que les paroissiens de Renac
auraient rabat d'un demi feu. On pourrait multiplier les exemples de ce fait
sans sortir de l'évêché.
Le Duc levait un fouage quand il avait besoin d'argent; quelques années
heureuses pouvaient s'écouler sans qu'il y eût perception d'impôt, et, dans
l'espace de quelques mois, en d'autres circonstances, les paroisses recevaient
la visite désagréable de leurs collecteurs cinq fois pour cinq fouages
différents.
Primitivement, alors que le chiffre du fouage marqué sur les rôles
concordait exactement avec le nombre réel des feux contributifs dans chaque
paroisse les paysans payaient l'impôt sans trop de réclamation. Mais vint un
temps où la situation changea, et alors les requêtes humblement adressées aux
Ducs commencèrent à affluer. Celle des habitants de Malansac en 1425 est à
retenir. Il y est dit que les feux de ladite paroisse "quels anciennement
souloient contribuer es fouages, tailles et subsides toutes fois qu'ils étoient
mis et imposés en nostre pays " sont diminués du tiers, que nombre de
maisons se trouvent inhabitées et que Malansac fourmille de pauvres veuves,
mineurs et misérables n'ayant aucun bien. - Au début du XVème siècle les
contribuables essayèrent en grand nombre de se soustraire à l'impôt devenu
trop lourd pour leurs pauvres épaules : les uns émigrant de leur paroisse
surchargées de feux pour aller chez des voisins qui vivaient sous un ciel plus
clément; d'autres plus malins terrorisant les fabriques et leurs collecteurs et
se prétendant exempts de leur plein gré ou bien jouant de la personne de leur
seigneur et déclarant, celui-ci que son père avait été portier à Guémené,
celui-là était forestier du Duc.
Une réforme devenait nécessaire. Elle se fit, et, en accordant pleine et
entière justice aux roturiers, elle devint du même coup la base de toutes les
preuves de noblesse en Bretagne. C'est qu'à côté de la nomenclature des feux
contributifs et de leurs habitants, elle dressa la liste sincère et loyale des
gentilshommes, de toutes les terres et maisons nobles de la province, et cette
liste fut par là même un nobiliaire complet, le plus précieux qui pût être
établi. Le Parlement avait décidé six ans auparavant que " nuls
roturiers ni autres qui ne seraient extraits de noble génération en droite
ligne et ne vivant noblement ne pourraient acquérir héritage ou fief noble sur
peine de le perdre et appliquer le prix de la vente au Duc ". Tout
propriétaire de terre noble put donc être considéré comme noble, et c'est en
prenant cette prescription pour base, en l'admettant comme un axiome que la
Chambre de 1668 put s'exprimer en ces termes : " Les réformations qui se
sont faites dans le siècle de 1400 ont été estimées très sures et très
véritables; et quand les parties les ont produites pour justifier que leurs
auteurs s'y trouvaient employés au rang des nobles de leur paroisse, elles
n'ont eu aucune difficulté pour être maintenues dans la qualité de noble, de
quelque dérogeance que les degrés inférieurs auraient pu être infectés,
attendu que la Chambre n'ayant pu révoquer en doute la vérité du témoignage
de noblesse de leur souche dans un temps si éloigné et non suspect, n'a pas
dû leur refuser le bénéfice de l'article 561 de la Coutume en faveur des
trafiquants et usants de bourse commune dont la qualité est censée dormir
pendant le trafic pour être réveillé lors de la cessation du commerce".
Déjà dans le courant de 1425 et de 1426 Jean V avait décidé d'accorder
des réformations à toutes les paroisses qui en feraient la demande. Mais les
requêtes affluant de tous les côtés à la fois, la réformation générale
des feux du Duché fut décidée et l'on y procéda sans délai.
LA REFORMATION GENERALE DE 1427
La réformation débuta, pour l'évêché de Vannes, le 1er janvier 1427 (
nouveau style); poursuivie sans discontinuer pendant tout le courant de
l'année, elle se termina dans les premiers mois de 1428. Le travail fut donc
achevé en un an.
Les commissaires nommés par mandement de Jean V étaient : Perrot de
Cléguennec, sieur de Botlan et de Niziave, Eon Rolland, Olivier du Quirisec,
sieur du Quirisec et de Kergurionné Maître des Comptes, Olivier Boulart, sieur
de la Barbotaye procureur de Guérande, Jean Juzel Auditeur des Comptes, sieur
de la Vieille Ville, Jean Estienne, Jean Jehanno lieutenant de Vannes, Jean Le
Paintour, Henri Tribara, sieur de Penhouet et Coetro, Guillaume Le Baillif,
sieur de Sulé, tous gentilshommes du pays de Vannes.
Voici comment ils opérèrent. Dans chaque paroisse un certain nombre de
seigneurs et de paroissiens roturiers furent désignés pour les assister an
qualité de rapporteurs et de témoins. Souvent étrangers aux paroisses qu'ils
devaient réformer les commissaires n'auraient pu sans l'aide des habitants voir
le bout d'uns oeuvre aussi colossale. Et puis ne fallait-il pas écouter les
doléances des uns et des autres, les plaintes des contributifs et les
réclamations des exempts ? Les notables du pays, nobles et paysans, étaient
plus à même que tous autres de renseigner les magistrats, les premiers parce
qu'en qualité de soi-disant nobles, anoblis, sergents ou autres personnages qui
vivaient en grande partie aux crochets des "pauvres subjects " du
Duc,- et l'œuvre généreuse de Jean V atteignit son but. Comme nous voilà
loin des vieux clichés modernes, des manants " taillables et corvéables
à merci ", et de toutes ces phrases aussi vides que sonores qu'ont
enfantées tant de cervelles politiques depuis 150 ans. Notre époque a été
trop souvent, hélas! l'ère des grandes injustices; tâchons en étudiant de
près l'histoire de l'établir celle des grandes réparations.
On vient de voir comment se fit le travail des commissaires. Ceux-ci
n'opérèrent pas à la légère. Ils admirent un certain nombre de principes
qui furent tous suivis rigoureusement. Tout d'abord il fut décidé par eux que
les personnes en procès avec les paroissiens au sujet de l'exemption paieraient
les fouages jusqu'à la fin du débat. C'était là un point très important
auquel les roturiers devaient tenir énormément, car, avec la lenteur des
chicanes de l'époque, plus d'un plaidant était assuré de mourir dans la peau
d'un contribuable. Puis on déclara qu'il n'y aurait à jouir du bénéfice de
l'exemption que les propriétaires de fiefs nobles et leurs métayers à raison
d'un seul métayer par paroisse, et cette règle fut aggravée de ce fait qu'on
refusa la même faveur aux fermiers à convenant détenteurs de domaines
congéables; le métayer de devait d'ailleurs labourer que les terres de son
seigneur et ne pas sons-louer sa métairie, sauf à contribuer. (V. Nostang,
Marzan, Guidel, Carentoir, Gestel, Sérent, Péaule, Elven, Caden, etc.). En
dehors des gentilshommes, de leurs métayers et de leur concierges (quand ils
n'habitaient pas les manoirs), personne ne fut exempté, ni les sergents (Molac),
ni les roturiers qui s'armaient aux guerres (Sulniac, Saint-Nolff, Nostang), ni
les veneurs, ni les métayers d'Allayes et de Prieurés (Molac), ni les grangers
d'Abbayes (Elven), ni les nobles " se gouvernant partablement et vivant en
terre d'autrui", c'est-à-dire les nobles pauvres usant du partage égal et
n'ayant aucun bien.
Enfin une question fort intéressante fut soulevée. De tout temps en
Bretagne la bolée a été en grande honneur, par conséquent la vente en
détail du vin et du cidre a toujours rapporté de beaux écus à ceux qui ont
su la pratiquer honnêtement. Or au moyen-âge certains gentilshommes pauvres
s'imaginèrent pouvoir vendre à boire sans déroger;- ne trouvait-on pas
quelque part des nobles verriers ? Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des nobles
débitants ? Il faut croire que l'état était tentant, le gain assuré. Bref
une quantité d'épées de fer se firent ouvertement taverniers, et c'est en
grand nombre qu'ils se mirent à exercer dans l'évêché de Vannes notamment à
Lescouet, à Brech, à Saint-Nolff, à Elven, etc. Fait curieux, les paroissiens
étaient-ils fiers de leurs nouveaux aubergistes, ou ces aubergistes
vendaient-ils meilleur marché des consommations supérieures à celles de leurs
collègues ? - le fait est qu'il ressort des procès-verbaux de la réformation
que les paroissiens laissaient facilement les taverniers nobles jouir de leurs
anciens privilèges. Mais la Chambre des Comptes n'entendit pas de cette
oreille-là et rendit justice aux roturiers malgré eux. Tous ces marchands de
vin nouveau modèle furent classés au nombre des contributifs.
L'ENQUÊTE DE 1448 ET LES REFORMATIONS PARTICULIÈRES DE 1440 A 1481
La réformation générale terminée les paroisses de l'évêché de Vannes
se trouvèrent plongées dans une paix profonde qui dura douze ans. Quand vint
1440 les égailleurs et collecteurs s'aperçurent avec désespoir qu'en bien des
endroits le nombre des exempts avait augmenté dans des proportions fantastiques
au point de dépasser de beaucoup celui des anoblissements et franchises
accordées par le Duc. Jean V commença quelques réformations particulières,
mais bientôt il fallut remédier dans une plus large mesure à un état de
choses qui menaçait de s'aggraver, et Pierre II son successeur fit faire une
enquête sur l'Etat des exempts dans 91 des paroisses de l'évêché. La copie
qui en est restée, quoique bien imparfaite et très succincte, nous donne les
listes de tous les nobles, anoblis et francs de fouage pour chacune de ces 91
paroisses. Cette enquête peut être rangée parmi les réformations générales
parce qu'elle se fit sans interruption. Elle n'arrêta pas d'ailleurs les
plaintes des paroissiens qui ne cessaient de réclamer une révision de leurs
feux. Cinquante-cinq requêtes parvinrent à la cour des Ducs Jean V et Pierre
II entre 1440 et 1481. Toutes tendaient au même but, mais deux d'entre elles
méritent de nous arrêter. C'est d'abord celle de Carnac datée de 1475 où les
contribuables exposent que la peste " qui puis longtemps a eu cour en
ladite paroisse " a fait parmi eux des ravages affreux, que beaucoup de
leurs navires et de leurs marchandises ont sombré en mer ou ont été
capturés, que neuf d'entre eux ont fait naufrage corps et biens dans un voyage
qu'ils avaient entrepris à Nantes en 1473, qu'en conséquence le nombre des
contributifs de Carnac a diminué des deux tiers.- La requête de Renac, à
l'autre bout de l'évêché, est de 1481. Voici quels en sont les motifs : La
paroisse, y est-il dit, qui est chargée de tout temps du nombre de 32 feux
payables, est de petite étendue de pays; ses habitants sont pauvres et
nécessiteux grâce à cette grande charge de feux qui leur est fort grevable et
excessive et eu égard au petit nombre des paroissiens et de leurs petites
facultés; de plus est survenue une grande diminution et une grande
dépopulation à la suite d'une épidémie de peste qui règne depuis dix ans à
Renac et qui a fait périr un grand nombre d'entre eux pour la plupart riches,
très solvables et puissants, en sorte qu'il y a bien actuellement vingt maisons
frostes et inhabitées; les deux dernières années ils ont perdu presque tous
leurs fruits et leurs foins par des inondations de la Vilaine, ce qui ajouté
aux misères de l'hiver derrain qui fut moult long et âpre a fait périr
presque tous leurs bestiaux qui constituaient la plupart de leur bien et
richesse; il y a en Renac vingt-et-une maisons de gentilshommes francs et
exempts de fouage, et c'est là que sont allés demeurer les plus puissants des
contributifs afin d'éviter de payer l'impôt, et ce en grande fraude et
préjudice des autres paroissiens. - Cette requête se termine naturellement
comme celle de Carnac par une demande de diminution de feux. De telles plaintes
étaient bien faites pour toucher le cœur du Duc. Aussi y fit-il droit. C'est
ainsi qu'en dehors de l'enquête de 1448, cinquante-cinq paroisses reçurent une
réforme particulière, soit en tout cent quarante-six réformations.
Si les noms des commissaires de 1448 ne sont pas venues jusqu'à nous, en
revanche, nous connaissons les officiers qui présidèrent aux réformations
particulières. En voici la liste complète : Jean d'Auray, sieur de Kermadio,
Guillaume du Bahuno alloué de Brocrech, Guillaume Le Baillif, sieur de Sulé,
Pierre de Beauchesne, Thébaud Bino, Pierre de Bonabry, Maître des Comptes et
secrétaire du Duc, Jean Le Bouteiller, Pierre du Cambout, Guyon de Carné,
sieur de Lestier, Perrot de Cleguennec, sieur de Botlan et de Niziave, Nicolas
Le Comte, Maître des Comptes, Laurent Droillart, sieur de Kerlen, Jean
Estienne, Jean de Gaincru, sieur de la Villegaudin, Jean Gibon, sieur du Grisso,
Président des Comptes, Amaury Gibon, clerc et greffier des Comptes, Guillaume
de la Houlle, Pierre Josso, alloué de Broerech, Pierre Joubelot, Henri Juzel,
clerc de la cour d'Hennebont, Pierre Kerboutier, alloué de Vannes, Nicolas de
Kermeno, sénéchal de Vannes, Raoul de Launay, Président des Comptes, Louis de
Lopriac, sieur de Kerganquis, Maître des Comptes, Jean Marchant, sieur de
Corson, Auditeur des Comptes, Lucas Le Naz, sieur de Kergolher, Jean du Pou,
Auditeur des Comptes, Henri du Pou, sieur de la Ferté, Jean Proudic,
secrétaire du Duc, Henri de Queblen, Auditeur des Comptes, Olivier du Quirisec,
Maître des Comptes, Jean de la Rivière, Président des Comptes, Guillaume
Robelot, lieutenant de Ploërmel, Jean Le Roux, Olivier Salmon, sieur de la
Villefrioul, Alain de Talhouet, sieur de Keravéon, lieutenant du procureur
d'Hennebont et Olivier Vitré, clerc de la cour d'Hennebont.
LES REFORMATIONS DE 1513 ET 1536
Les réformations du XVème siècle, l'enquête de 1448 mise à part,
avaient eu pour but la révision des feux de la Province. Celle de 1513 n'eut en
vue que l'examen des titres des exempts de fouage. L'ordonnance de la reine Anne
datée du 16 septembre 1513 nous apprend qu'à ce moment un grand nombre de
paroissiens "partables" recommençaient à vouloir se soustraire à
l'impôt foncier sous prétexte qu'ils étaient " praticiens, monnayeurs,
sergents et officiers", et que beaucoup de gentilshommes et de gens
d'église marchaient sur leurs traces en refusant de payer le fouage dû sur les
terres et maisons roturières par eux achetées et annexées à leurs manoirs et
métairies nobles. Les propriétaires n'étant exemptés de droit de l'impôt
qu'autant que leurs terres étaient nobles, la situation devenait intolérable
pour les paysans surchargés de taxes; alors la reine fit faire la nomenclature
de tous les exempts, celle des métairies et maisons nobles, et dresser le
décompte de toutes les terres " partables " que l'on voulait
exempter. La Chambre des Comptes reçut en même temps l'ordre d'établir une
liste de toutes les déclarations et de se reporter aux réformations du XVème
siècle afin de maintenir toutes les métairies et maisons nobles qui y
figuraient et de faire une enquête sérieuse sur la validité de l'exemption
des autres.
La fin principale de la réformation de 1513 fut, on le voit, plutôt de
faire connaître la qualité des terres que celle des personnes. Beaucoup de
roturiers possédaient d'ailleurs légitimement des terres nobles grâce à
l'ordonnance de Louis XII qui avait abrogé en 1505 les défenses faites jadis
aux gens de bas état d'acheter des fiefs de chevalerie. Aussi la Chambre de
1668 n'admit-elle cette réformation comme souche certaine de noblesse que
lorsque " la qualité des personnes y fut explicitement exprimée et
notoirement reconnue".
Jean Pineau, sieur de Kerouaud " receveur général pour le Roi et Duc
des fouages et impôts de l'évêché de Vannes " fut chargé de diriger
les enquêtes dans son ressort. Les contribuables de chaque paroisse
désignèrent un certain nombre d'entre eux pour faire le travail et dresser
rapports qui furent signés par des notaires, des prêtres et des gentilshommes.
Les originaux des ces rapports ont été conservés : ils concernent
soixante-dix-neuf paroisses de l'évêché, les autres ayant été laissées de
côté on ne sait pour quel motif. La réformation commença le 28 octobre 1513
et se termina le 28 mars 1514 (nouveau style). Elle dura donc cinq mois.
Je ne citerai que pour mémoire la réformation de 1536. Les copies que nous
en avons sont absolument défectueuses, et l'original n'était probablement pas
meilleur, puisqu'en 1668 la Chambre décida de n'en pas tenir compte. " La
dernière réformation qui a été faite en Bretagne, dit-elle en ses maximes,
est celle de 1535 à 1543; la fin que l'on s'y proposa fut de connaître la
qualité des personnes et des terres tout ensemble pour imposer taxes sur les
roturiers possédant fiefs et terres nobles; mais comme l'on a remarqué qu'elle
fut faite avec peu de fidélité et de religion par les commissaires qui y
travaillèrent, la Chambre n'en a fait aucune considération".
La collection des minutes des réformations (feux et exempts) touchant les
neuf évêchés de Bretagne, soit trente-trois registres, était gardée
soigneusement à la Chambre des Comptes à Nantes. Quatre d'entre eux
concernaient l'évêché de Vannes. Les registres cotés 1808 et 1809
contenaient la réformation générale de 1427; sous la cote 1810 on trouvait
les réformations de 1440 à 1481; sous la cote 1811 étaient réunis ensemble
l'enquête de 1448 et la réformation de 1513; je n'ai pu découvrir la cote du
dernier qui devait renfermer la dernière réformation.
Pendant la Révolution on détruisit vingt-huit registres de cette collection.
Les cinq originaux qui restent aux archives de la Loire-Inférieure sont les
réformations de 1426 et 1427 pour Saint-Brieuc, celles de 1426 et 1442 pour
Tréguier et celles de 1440-1481 et 1513 pour Vannes.
J'ai pris les copies des trois minutes de Vannes qui ont disparu dans le
manuscrit 22.320 du fonds français de la Bibliothèque Nationale. Il semble
résulter de la lecture des divers exemplaires consultés par moi que tous ont
pour origine une seule copie primitive, et qu'ainsi, du moins pour l'évêché
de Vannes, les réformations bretonnes ne furent copiées qu'une fois sur
l'original.
Avant la Révolution, la noblesse, très jalouse de ses droits et
privilèges, faisait un très grand cas des minutes des réformations; aussi
vit-on souvent des gentilshommes, voire même des roturiers parvenus à des
fonctions importantes, essayer de falsifier par interpolation ces vénérables
cahiers. Je vais citer un exemple frappant de ce fait, et c'est par là que je
terminerai cette trop longue étude.
En 1513, le manoir de la Venuraie situé en Allaire et appartenant à N.H.
Guillaume Copalle, avait pour métayer " ung nommé Jehan Querverien "
; ce sont les propres termes de la réformation. D'où venait ce Jehan Kerverien
? Etait-il cadet de la grande maison des Kerverien ou Kermerien du pays de Léon
? Ses descendants le prétendirent, et Dieu seul le sait maintenant. En tout
cas, à cette époque, il ne représentait que le métayer d'un petit seigneur
d'Allaire, et son fils, Maître Jean Kerverien, maître d'Ecole en cette
paroisse, avait pour femme la fille d'un bourgeois de Redon. Tout à coup,
brusquement, vers 1580 les Kerverien grandissent; le petit fils du métayer,
nommé comme lui Jean, épouse une fille noble du pays: le grand père était
cultivateur, le père pédagogue, lui est notaire de la juridiction de Rieux et
s'intitule sieur de la Porte. Voilà la famille Kerverien sortie de l'ornière,
et bien partie elle ne s'arrêta pas. Le quatrième Jean achète en Allaire les
manoirs du Vaujouan, de la Porte, de Coueslée, de la Pommeraye, du Vieux
Moulin, du Colombier, de Henleix, etc.; le notariat ne lui suffit plus, et il
gagne Redon où il devient successivement procureur fiscal, alloué et
lieutenant général. En 1462 le partage de ses biens et de ceux de sa femme
Perrine Fabroni du Parc Anger se fait également et roturièrement. Mais leur
fils René aura d'autres prétentions : montant encore en grade le voilà
conseiller du Roi en ses conseils d'Etat, privé et des finances et qui achète
en 1642 la charge d'Avocat Général au Parlement de Bretagne. Malheureusement
René Kerverien ne laisse qu'un fils mort sans postérité, et tous ses biens
s'en vont passer dans la maison de Lanjamet par le mariage de sa fille avec
Guillaume de Lanjamet de Miniac. La gloire des Kerverien est tombée en
quenouille, et, pour comble de disgrâce, la Chambre de 1668 a débouté la
famille de ses prétentions à la noblesse : ce n'est pas l'arrêt de maintenue
du Parlement de Paris qui la lavera d'un tel affront.
A quel moment les Kerverien firent-ils fabriquer une interpolation sur le
cahier de la réformation d'Allaire ? Est-ce en 1668 ? Est-ce en 1676 ?
Mystère! Toujours est-il qu'un faussaire maladroit trouva moyen de glisser
entre les articles concernant le Vieux Moulin et le Plessix la mention suivante
: " La maison et métairie du Vaujouhan à Jehan de Kerverien, écuyer et
Yvonne Botdru, sa femme, tant en maison, bois anciens, garennes, moulin, étang,
en laquelle demeure métayer un nommé Jehan Mouraud". Le métayer de la
Venuraie dut en tressaillir d'orgueil dans sa tombe! L'écriture est
parfaitement imitée, mais le faussaire ne s'est pas tenu là. Il a lu
attentivement le reste de la réformation et, si le métayer de la Venuraie lui
a échappé (il n'y avait qu'à mettre un pâté d'encre dessus), il a trouvé
malheureusement le véritable article du Vaujouan " appartenant à Eonnet
de Bellouan écuyer...auquel demeure métayer un nommé Jehan Mouraud".
Alors, l'interpolation faite, il s'est acharné sur le véritable Vaujouan : du
V il a fait un B, du J un S, etc. Malgré tout, la surcharge est grossière et
la supercherie facile à découvrir.
La Cour ne tomba pas dans le panneau; par considération sans doute pour la
famille Kerverien dont un membre lui avait appartenu, au lieu de biffer
simplement l'article interpolé, elle déclara fausse toute la réformation de
1513 en Allaire par arrêt du 13 novembre 1679 et décida que cette paroisse
serait rayée sur le registre officiel de la Chambre des Comptes.
cet exemple est curieux au double point de vue de l'intérêt que l'in portait
aux réformations et de la sincérité implacable des arrêts du Parlement. Il
méritait que l'on s'y arrêtât.
LES MONTRES
Si les gentilshommes avaient le grand privilège d'être exempts d'impôts,
c'est qu'ils étaient, je l'ai dit, astreints au service militaire, charge
honorable, la plus noble de toutes, mais qui n'en était pas moins lourde à
supporter. Seuls possesseurs des fiefs, puisque à l'origine quiconque était
investi se trouvait tacitement anobli sans lettres et par la seule investiture,
ils devaient au Prince leur seigneur suzerain, à cause de ces fiefs, le
concours de leurs personnes et de leurs armes. Plus tard quand les bourgeois
purent acquérir les terres nobles, ils devinrent par là même sujets aux armes
tout comme leurs devanciers; mais le nombre de ces acquéreurs étant infime, on
peut dire que pendant le XVème siècle le service de l'arrière ban fut la part
à peu près exclusive de la noblesse. Et l'une des grandes erreurs de la
Chambre de 1668 a été de ne pas tenir compte des montres : il eût été si
facile de discerner sur les rôles de ces grandes revues militaires la part des
bourgeois, part qui est si bien mise en lumière!
Sous les Ducs Jean, Pierre et François, l'armée bretonne était formée
des troupes permanentes et des milices. Les unes, neuf cents hommes à peine,
comprenaient les canonniers, la maison militaire, les ordonnances et la
gendarmerie; les autres avaient trois subdivisions : l'arrière ban, les francs
archers et les milices urbaines.
L'arrière ban (du germain Heer Ban, convocation d'armée) était la partie
imposante, le gros de l'armée et la cavalerie. Tous les propriétaires de fiefs
nobles en faisaient partie; tellement, que les veuves et les mineures eux-mêmes
figuraient sur les contrôles et se trouvaient obligés de fournir un homme
noble à leur place. Le harnois, c'est-à-dire l'uniforme et l'armement, se
réglait par mandement des Ducs suivant les revenus des feudataires.
L'uniforme n'était pas varié. Le voici, suivant les cas :
- La brigandine, haubergeon ou cotte de maille, armure de fer composée de lames
jointes et servant de cuirasse.
- Le paletoc, vêtement de gros drap qui se mettait comme la brigandine.
- La salade, sorte de casque sans cimier, presque un simple pot.
- Les gantelets, gants, garde bras, avant bras, lesches ou mailles de bras,
brassards, gorgerettes et harnois de jambes.
L'armement était plus compliqué. On y voyait : L'épée et la dague, l'arc
et la trousse, l'arbalète et les traits, la javeline, la pertuisane, la
coutille et les vouges et juzarmes. D'où les noms d'archers, d'arbalétriers, de
coutilleurs, de vougiers et de juzarmiers qui distinguaient les différents
guerriers.
Ceci dit, voici, d'après le mandement de Pierre II du 15 février 1450,
comment les possesseurs de fief nobles devaient s'armer en cas de convocation :
- Au dessous de 60 livres de rente, en brigandine ou en paltoc nouveau modèle
sans manches mais avec lesches ou mailles sur les bras, avec faculté de se
servir d'arc ou de juzarme.
- Entre 60 et 140 livres, en archer en brigantine ou en juzarmier, avec un
coutilleur (soit 2 chevaux).
- Entre 140 et 200 livres, en équipage d'homme d'armes (la tenue de la
gendarmerie permanente de lanciers), avec un coutilleur et un page (soit 3
chevaux).
- En 200 et 300 livres, en équipage d'homme d'armes, avec un archer ou
juzarmier en brigandine, un coutilleur et un page (soit 4 chevaux).
- Entre 300 et 400 livres, toujours en équipage d'homme d'armes avec deux
archers, un coutilleur et un page (soit 5 chevaux).
Et ainsi de suite en augmentant d'un archer par cent francs de revenu.
Quand le Duc voulait mettre en mouvement cette énorme machine qu'était
l'arrière ban, il publiait un mandement qui ordonnait les montres générales
ou revues "des nobles, anoblis et sujets aux armes par raison de la
noblesse d'eux ou de leurs fiefs", en donnant pour chaque évêché un lieu
de réunion. "Il envoyait aux montres un commissaire et un capitaine
assistés d'un clerc qui portait les rôles et d'un procureur pour verbaliser
contre les délinquants. Après la montre, les gentilshommes élisaient leurs
capitaines et attendaient l'ordre de mobilisation. Cet ordre était l'objet d'un
second mandement où le Duc fixait les points de concentration assignés aux
divers contingents".
Ainsi qu'on a pu en juger par ce qui précède, l'habillement,
l'accoutrement et l'armement du feudataire étaient excessivement onéreux pour
lui. S'il en coûtait peu aux seigneurs qui jouissaient d'un revenu de 1000
livres d'amener avec eux toute une petite troupe armée et équipée à leurs
frais, en revanche, tel petit gentilhomme ayant 10 livres de rente (400 francs)
était obligé de se saigner à blanc pour se rendre de Languidic à Vannes à
cheval en brigandine et salade, avec épée, dague, vouge et le reste; et encore
y arrivait-il pour s'entendre dire que son cheval ne valait rien (Languidic).
Tel autre classé pour 100 sous de rente (200 francs) avait à faire près de
vingt lieues pour venir de Langon sur son cheval avec paltoc, salade, épée,
dague et lesches; et pour l'encourager on lui déclarait à Vannes qu'il lui
manquait des gantelets et un vouge (Langon). Mais ces malheureux petits
gentilshommes avaient bien d'autres choses à payer sur leurs cent sous ou dix
livres de rente : il leur fallait tenir un certain train et vivre noblement; ils
avaient probablement des chiens, des armes de chasse; leurs femmes, à défaut
de bijoux, devaient dépenser quelque peu pour leur toilette. Combien restait-il
de ces cent sous, dix livres, quand on partait pour Vannes avec des brigandines
et des salades probablement rouillées et un vouge fabriqué sans aucun doute
avec un fer de faux?
Et ne croyez pas que ces cent sous de rente fussent le minimum au pays de
Vannes. Brient Raoul, de Plouhinec, et Guillaume Caignart, de Plumelin, ne
possédaient que trois livres de revenus par an (120 francs).
Le Duc, prenant en pitié sa pauvre noblesse, lui allouait une certaine
solde, mais ce don était tout gracieux, et les deux, trois, quatre ou cinq
réaux qu'il versait par mois à ses membres ne pouvaient pas compter pour une
sérieuse indemnité.
Dès lors qu'y a-t-il d'étonnant à voir les quantités de défauts et la
multitude d'excuses dont se trouvent parsemées les montres au XVème siècle.
En 1464 Jean de Kerangal a l'épidémie dans sa maison (Languedic); Guyon de
Kerguiris, sans doute d'une taille exagérée, comparaît en sa robe (en civil)
parce qu'il n'a pas pu trouver de harnois bon pour son corps (Kervignac);
Sébastien du Pou s'est fait Religieux (Plouay); Jean de Kermeno vient de perdre
sa femme (Moréac); Henry du Pou s'est cassé la jambe (Cléguérec); Jean Le
Gouvello est malade (Baud); Guillaume de Kersalio a sa femme mourante (Sulniac),
etc. En 1477 mêmes excuses, Jean de Thomelin comparaît en sa robe parce que
son harnois ne lui a pas été envoyé de Nantes (Caudan); les héritiers de
Jean de Brauc ne comparaissent pas et ne craignent pas d'envoyer à leur place
un malheureux vieillard de 80 ans qui d'ailleurs n'est pas accepté, et ainsi de
suite. L'énumération des excuses de 1481 nous mènerait trop loin.
En somme le service militaire était une très grosse charge et les
possesseurs de fiefs étaient ravis d'esquiver les montres et les convocations.
Absolvons-les en songeant aux quantités de cas d'exemption et de dispense dont
nombre de gens essaient de bénéficier de nos jours.